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Frère David-Marc d’Hamonville : « La vie monastique ne peut être qu’un abandon »


Entretien


Moine bénédictin de l’abbaye d’En-Calcat, le frère David-Marc d’Hamonville a travaillé à la traduction liturgique de la Bible. Tour à tour cuisinier, économe et père abbé, redevenu simple moine, il nourrit sa méditation par l’art et une réflexion sur le vide ou le désir.



  • Recueilli par Christophe Henning pour le journal La Croix

  • le 01/02/2024 à 11:00


Moine bénédictin de l’abbaye d’En-Calcat, le frère David-Marc d’Hamonville a travaillé à la traduction liturgique de la Bible. Tour à tour cuisinier, économe et père abbé, redevenu simple moine, il nourrit sa méditation par l’art et une réflexion sur le vide ou le désir. Ici à En Calcat, le 2 juillet 2019.Vincent NGUYEN / Vincent NGUYEN / Riva Press


Le 2 février a lieu la Journée de la vie consacrée, notamment de la vie monastique. Comment la définir ?


Père David-Marc d’Hamonville : La vie monastique n’offre pas de plan de carrière. Il n’y a rien à espérer concrètement. Demain sera comme aujourd’hui. Demain, il y aura la prière des laudes, les vêpres, il y aura la prière des petites heures. Demain, le monde ira mal et j’essaierai de me dire que c’est pour le monde que je suis là, que je loue le Seigneur, parce que lui s’en occupe. La vie monastique ne peut être qu’un abandon. Il y a des gens à l’arrêt de bus, donc le bus va passer : c’est ce que dit le dominicain Timothy Radcliffe pour décrire la vie monastique. Les moines attendent, ils attendent toute leur vie et tout le temps : la grâce de Dieu va passer.


Depuis quand êtes-vous moine d’En-Calcat ?


Pr. D.-M. H. : Depuis trente-cinq ans, c’est encore peu… J’ai eu une vie monastique assez active. Assez vite, on m’a même demandé trop de choses. J’aurais bien aimé être un moine artiste, je suis entré à En-Calcat avec cet espoir. Mais j’ai d’abord été cuisinier, puis économe, puis abbé. J’ai toujours eu beaucoup de travail, et cela m’a peut-être tenu durant toutes ces années, sans perdre de vue l’activité artistique. L’art est du même ordre que la prière, c’est-à-dire qu’il y faut la grâce. L’artiste est un récepteur du monde et de ce qui manque au monde. Pour cela, comme pour la prière, il faut faire le vide. Il faut commencer par le désir, le manque. Peut-être que je me serais écroulé, dans une vie monastique tout entière consacrée à cette prière et à cette vie de désir et de création. Aujourd’hui, cela va mieux parce que je suis plus vieux, je suis plus rassis, j’ai moins peur du vide, du manque.


Dans la création artistique et peut-être dans la prière, n’y a-t-il pas quelque chose d’inachevé ?


Pr. D.-M. H. : Surtout dans la prière ! Dans le monde, il y a deux choses essentielles : le soleil se lève, le soleil se couche. C’est tellement extraordinaire que, si je ne me mets pas à genoux à ce moment-là, je ne me mettrai jamais à genoux de ma vie. Rendez-vous compte : le soleil se lève ! Nous étions dans la nuit, et brusquement, il y a la lumière. Tout devient possible, la journée va commencer. Si tu ne loues pas Dieu à ce moment-là, il n’y a plus aucune raison de louer Dieu.

De même le soir : le soleil se couche. Mon Dieu, mon Dieu, si tu n’es pas là, que va-t-il se passer ? La nuit est terrible. Entre ces deux moments, il n’y a rien de très remarquable, si ce n’est prier sans cesse.


N’est-ce pas en contradiction avec le monde d’aujourd’hui ?


Pr. D.-M. H. : Nous sommes en contradiction avec le monde, oui ! Notre vie interroge aussi la pratique religieuse. Il paraît qu’il n’y a plus que 1,5 % des Français qui vont à la messe. La messe, c’est le couronnement d’une vie de prière. Il me semble que nous pouvons participer à la messe quand nous avons établi une intériorité. Je ne comprends pas très bien ce qui s’y passe, mais je sais que Jésus me rejoint dans mon corps à travers l’Eucharistie. Mais avant, il y a la prière.

Tant qu’on n’a pas établi ce primat de l’intériorité dans un dialogue avec Dieu, pourquoi aller à la messe ? Cela n’a aucun sens. Une fois par semaine, voudrait-on sauver tout le reste en allant à la messe ?


Auriez-vous la solution pour sortir du consumérisme et trouver un mode de vie responsable ?


Pr. D.-M. H. : Je vois bien la petite voie qui est celle que j’ai choisie en devenant moine. La réponse, c’est la mise en commun. Je ne veux pas avoir « mes » affaires, il faut que tout soit commun à tous. Ensuite, nous essayons de vivre la sobriété. Nous mangeons trois fois par jour, nous sommes gâtés, c’est formidable ! Tous les soirs, j’ai un lit, je peux dormir jusqu’à demain. La vie est assurée ! Si je sais apprécier ce luxe-là, après quoi vais-je encore courir ? Mettre en commun fait baisser les besoins, on n’a pas besoin de travailler comme des forcenés. Et si on regarde de près la Règle de saint Benoît, on découvre qu’il a inventé le temps libre : il nous a proposé de prier six heures par jour, plutôt que de travailler ! Dans une société extrêmement laborieuse, c’était une révolution.


Saint Benoît encourage la prière et aussi l’étude, la lectio divina…


Pr. D.-M. H. : J’ai bien conscience que je partirai au ciel avant d’avoir terminé l’exploration de la Bible. Le père André-Jean, ancien abbé d’En-Calcat, fait sa lectio de la Genèse à l’Apocalypse, et puis recommence. Il ne fait que lire. Il en est à sa quarantième lecture intégrale et pourtant, tous les matins, il se laisse surprendre. Il y a des passages plus ennuyeux que d’autres, c’est évident, mais on passe. Nous sommes façonnés par ce livre, par cette tradition qui a permis notre civilisation. La modernité estime qu’elle n’en est plus tellement redevable, je ne crois pas que ce soit vrai.

Nous sommes toujours redevables de ce qui a formé nos pères et qu’ils nous ont transmis. Saint Irénée disait que la tradition est une liqueur qui rajeunit le vase qui la contient. C’est magnifique. Mais il faut qu’il y ait un récepteur. Si, de mon vase, je n’arrive pas à faire couler dans les mains de quelqu’un d’autre l’huile précieuse, je n’aurai pas réussi à transmettre.


Vous avez écrit plusieurs livres sur les Évangiles : qu’en tirez-vous ?


Pr. D.-M. H. : Les Évangiles, c’est le cœur du réacteur. Saint Paul, c’est très intéressant, c’est l’intelligence, mais ce n’est pas les histoires extraordinaires racontées par Jésus. La parole de Jésus est tellement déroutante, il est tellement au-delà de nos capacités que la vérité d’un disciple, c’est de dire : « Je ne suis pas à la hauteur. » Ce n’est pas de la culpabilité, mais c’est reconnaître qu’il n’est pas possible de rester prétentieux au voisinage de Jésus. Jésus peut faire des choses, mais nous, il nous faut consentir beaucoup.


C’est-à-dire ?


Pr. D.-M. H. : J’aime ce mot de consentement. C’est ce que fait Jésus à Gethsémani : « Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. » Consentir jusqu’à la croix. Nous, il nous est demandé de consentir à beaucoup de petites souffrances. Et à la mort. Jésus ne cesse, dans l’Évangile, de nous dire que la mort n’est pas ce que nous croyons. La parole de Jésus me donne confiance. Si je suis là à faire le paon, le singe savant ou à m’exalter tout seul, Jésus va me percer à petits coups d’épingle. Si nous acceptons de consentir, il nous tient, nous soulève, nous attire à lui.


Vous avez connu la maladie aussi. La mort, dit-on, est la compagne du moine. Pourquoi ?


Pr. D.-M. H. : C’est une tradition, la meditatio mortis du moine. Le moine sait où il va. Je vis ma vie de prière et puis un jour, j’espère que je verrai la lumière pour de bon. C’est le pari de la foi qu’énonce Pierre : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. » Si j’étais né dans une tout autre culture façonnée par le bouddhisme, j’aurais d’autres références, mais aujourd’hui, ma référence, c’est Jésus.


Au milieu des tumultes, que peut encore dire l’Église à la société aujourd’hui ?


Pr. D.-M. H. : Nous avons l’impression que nous allons mordre la poussière de tous les côtés, soit par la crise des abus, soit par la désaffection, l’effondrement de l’institution. Nous avons bâti des cathédrales, des églises, mais elles sont vides. Il faut écouter Paul : « Vous êtes le sanctuaire de Dieu. » Ce n’est même pas la communauté, c’est chaque personne qui est sanctuaire. Laissons les pierres… Ce ne sont pas nos cathédrales qui vont nous sauver. Les murs nous ont donné l’illusion d’une sorte d’invincibilité. Aujourd’hui, il faut prendre goût et saveur à bâtir de toutes petites choses qui soient à la mesure de notre humanité croyante, c’est tout.


Il y a une forme d’humilité, d’abandon, de gratuité peut-être ?


Pr. D.-M. H. : La gratuité parle de Dieu, surtout dans notre monde. Dieu donne à l’homme gratuitement. C’est ce que je dis quand je suis au parloir avec les gens : la gratuité de Dieu. C’est lui qui donne, c’est lui qui fait. N’essayez pas d’être vertueux, cela ne sert à rien. Essayez simplement de recevoir tout ce qu’il vous donne. C’est en jouissant de ce don de Dieu qu’on a envie d’être vertueux. L’ascèse n’est pas une bagarre, c’est plutôt une aventure. Je laisse tomber le niveau d’exigence de mes désirs dispersés, de tous ordres, je rentre dans l’unique désir qui est la paix, la joie.


Dans votre chambre, il y a votre valise, celle avec laquelle vous êtes arrivé. Est-elle toujours à portée de main ?


Pr. D.-M. H. : Elle est toujours avec les couvertures, sur le haut de l’armoire. Il ne s’agit pas de partir sur un coup de tête. Les jours de grosse fatigue, on se demande : « Qu’est-ce que je fais ici ? » La prière creuse encore le vide. Il nous reste à dire : « Je suis venu te rencontrer, je suis venu espérer. » On va chanter un psaume avec les frères et repartir. Cela ne justifie rien d’hier, ce n’est pas un plan pour demain. Cela vaut la peine aujourd’hui.

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Un artiste au monastère

Né en 1954, David-Marc d’Hamonville est entré à l’abbaye bénédictine d’En-Calcat (Tarn) à 32 ans, après avoir mené des études de lettres classiques, puis une vie d’artiste peintre. Devenu frère David, il a été tour à tour cuisinier de l’abbaye, économe, maître verrier, avant d’être élu abbé de sa communauté en 2009. Il démissionne de sa charge au printemps 2020, en raison d’une rechute d’un cancer aujourd’hui soigné.

Cet artiste émerveillé est aussi un bibliste confirmé : il a traduit du grec le Livre des Proverbes pour la collection « La Bible d’Alexandrie » (Cerf, 2000) et a participé à la Traduction liturgique de la Bible. Un travail complété par des livres de commentaires sur le Cantique des Cantiques ou encore les Évangiles avec, dernier en date, Matthieu, la parole pleine à craquer (Cerf, 2023, 248 p., 22 €). Poète et chantre, il est l’auteur de nombreuses hymnes pour la liturgie des heures, chantées dans les monastères.

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