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Retraite d'été prêchée par Fr. Jean-Pierre LONGEAT à Ligugé "VIVRE !"

  • Photo du rédacteur: Prière des Heures
    Prière des Heures
  • 24 août
  • 11 min de lecture

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Cinq jours.


Cinq étapes comme autant de pierres posées sur un sentier, conduisant du tumulte du monde et de ses épreuves vers la paix profonde du cœur.

Dans le silence du monastère, au milieu de murs imprégnés de prière, une vingtaine de participants venus d’horizons totalement différents se sont rassemblés, fin juillet, pour « écouter de tout leur cœur ».

Chacun a déposé aux pieds du Seigneur le poids de ses jours et s’est avancé dans cette « écoute attentive du cœur » ; chaque demi-journée devenant une lumière qui a éclairé le pas suivant.

Peu à peu, la retraite façonne l’intérieur : les visages s’illuminent, les cœurs s’ouvrent comme à pas feutrés.

« Qui est l’homme qui veut la vie et désire voir des jours heureux ? » (Ps 33,13, cité par le Prologue de la Règle de Saint Benoit).

Ici, dans la simplicité du monastère, et grâce à l’accueil toujours aussi chaleureux de la communauté, la réponse prend chair : écouter, aimer, communier, servir !


Lundi : le signe de Jonas – Vivre c’est écouter l’appel !


Notre retraite « VIVRE » s’ouvre avec l’Évangile du jour.Nous vivons souvent dans un brouillard intérieur, en quête d’un éclairage qui donne sens à notre existence. La Bible nous parle de signes : manifestations de la volonté de Dieu ou révélations de la vérité sur notre vie. Certains s’accrochent à ces signes au point que leur absence devient source de désespoir.

Dans l’Écriture, les signes passés – mer Rouge, Sinaï, désert – sont actualisés dans le présent : c’est le mémorial. Jésus lui-même vit constamment dans cette actualisation. Les signes présents nous interrogent : comment traverser chaque jour notre mer Rouge ? Comment graver sa loi en nous ? Comment attendre et accueillir les signes de l’accomplissement ? Comment parvenir à suivre l’exemple des prophètes qui veulent des signes d’actualisation de cette grande largesse de Dieu vis-à-vis de son peuple ? Pour cela il est nécessaire d’avoir des récits qui nous indiquent la route. Il ne s’agit toutefois pas d’assurer notre sécurité mais parfois de nous projeter dans une zone encore plus insécurisée. Quand Dieu nous prend tout, quand il ne reste plus rien, le vrai signe c’est le signe de Jonas, c’est-à-dire, la mort et la résurrection.

Le signe ultime est celui de Jonas : mourir à soi-même pour ressusciter. Jonas, appelé à prêcher à Ninive, fuit d’abord sa mission. Par tempête et par la mer, Dieu le ramène à sa vocation ; les Ninivites se convertissent. Le prophète doit accepter la descente dans la cale du bateau puis dans le ventre de la baleine pour être relevé. Jésus lui-même accomplit ce signe en descendant au plus bas de notre humanité pour annoncer le salut.

Dans ce signe, il y a deux points majeurs :

  • S’engager dans ce long processus de conversion jusqu’à mourir pour ressusciter ;

  • Ne pas fuir cet appel.

Vivre et être envoyé, vivre et être prophète vont ensemble. Comment éviter l’enfermement sur moi-même ? Comment est-il possible de vivre vraiment en plénitude car même s’il y a un élan de vie en nous toujours présent, il y a aussi beaucoup d’obstacles. Comment cet élan de vie peut-il être le plus fort ? Quel est ce secret de la vie ? 

Recevoir la vie du Père exige liberté intérieure et renoncement : non pas maltraitance, mais détachement de l’illusion de soi pour aimer et servir. 

Tout l’Evangile est là pour accompagner cela et accompagner le dynamisme du vivant qui ne nous appartient pas et que nous recevons du Père. Pour le recevoir, il faut que nous soyons libres de nous-mêmes et que nous renoncions à la propriété de nous-mêmes. C’est d’ailleurs ce que Jésus va vivre jusqu’à la Croix. Il continue à recevoir la vie qui vient du Père dans la force de l’Esprit. Il est celui qui porte / qui soulève le péché du monde, cad la tentation de s’enfermer sur soi, pour nous permettre de passer à la vraie vie. Être élevé en Gloire, c’est passer à la vraie vie sans être plombé par une humanité immédiate. C’est ça le mystère pascal et le salut.


La mission Pascale est une mission vers la vie plénière. Le disciple est appelé à accepter la mort avec e Christ pour ressusciter avec Lui. Progressivement, les apôtres vont apprendre à vivre cela avec Jésus, qui vient du Père et qui retourne au Père. Celui qui se dit chrétien et qui ne nourrirait pas cette connexion étroite avec Jésus, ne s’en sortira pas. Cela suppose d’apprendre progressivement à se laisser transformer, comme les apôtres. Le jeune homme riche échoue car il se crispe sur ses biens ; Paul, au contraire, invite à dépouiller le vieil homme et revêtir l’homme nouveau « dans la justice et la sainteté ».


Mardi : Ste Marie-Madeleine – Vivre c’est aimer, être traversé par l’Amour


Vivre, c’est être traversé par l’Amour — non pas l’amour que nous produisons, mais celui qui nous traverse. Cet amour nous expose aux surprises : joie immense et dynamisme, mais aussi déception, trahison, souffrance. Une personne qui aime n’est pas une personne qui est forte, mais une personne qui va être fragilisée et se heurter à toutes sortes d’obstacle. Aimer ce n’est pas maîtriser, c’est accepter d’être touché, blessé, et rejoint dans nos blessures.

L’Évangile de Jean (chap. 20) nous conduit au matin de Pâques. Marie-Madeleine, Pierre et Jean sortent d’une expérience d’abandon : Jésus est mort. Mais sur la croix, il a laissé un testament : ses sept paroles, clefs pour comprendre. Quand il crie « J’ai soif », c’est la soif intense de l’Amour qui traverse toute Sa vie. Déjà, au puits de Jacob, il avait dit à la Samaritaine : « J’ai soif. » . Jésus est lui-même dans cette fragilité de l’amour. Il aurait pu se présenter comme le Tout-puissant mais ce n’est pas ce qu’Il a fait.

Dans cette rencontre fragile, dans cette soif essentielle, Il lui  révéle : « Si tu savais le don de Dieu… »

Nous avons souvent la tentation de bien tenir en laisse la vie dans la limite de nos possibilités immédiates. Certains vivent de très grandes choses avec ça. La vie étroite n’est pas nécessairement une vie qui ne fait rien mais c’est une vie qui ne s’accomplit pas parce qu’elle n’est pas suffisamment reçue. C’est dur de vivre de vivre sur un fil en permanence mais une force en nous de confiance et de foi nous aide à traverser cela.

Sur la croix, « Tout est accompli » : la porte de la résurrection est grande ouverte, « pour que le monde ait la vie et la vie en abondance ». Mais nous avons tendance à enfermer la vie dans le tombeau étroit de nos sécurités. Pour en sortir, il faut accepter deux mouvements :


  • Déposer (titeimi) : cette déposition est un accompagnement de la perte pour se trouver. Il faudrait apprendre à se déposer pour accéder à la vraie vie, pour « la recevoir à nouveau ».

  • Enlever (aero) : consentir à ce que les obstacles à la relation soient retirés pour accéder à la vie

Marie-Madeleine reste près du tombeau, aimantée. Libérée par Jésus de sept démons, elle a tout connu de la vie. Elle a reçu de lui un regard et une parole uniques. C’est elle qui court annoncer la nouvelle, portée par l’amour, tandis que Pierre et Jean repartent enfermés dans leur monde.

Pleurer devant quelqu’un, c’est la plus grande preuve d’amour : « Pourquoi pleures-tu ? » demande Jésus, non pour condamner, mais pour la rejoindre. Puis il l’appelle : « Marie ». Elle répond : « Rabbouni » — maître, guide, compagnon. Cette reconnaissance mutuelle devient mission : « Ne me retiens pas. Va dire… ». Marie devient l’apôtre des apôtres.

Vivre, c’est aimer : se rendre disponible à un amour qui circule et nous traverse, non un amour que l’on possède. Le double commandement — aimer Dieu et aimer son prochain — n’est qu’un seul et même mouvement. Il exige de nous la même humilité devant l’autre que devant Dieu, même envers celui qui ne nous aime pas : « Père, pardonne-leur… »

L’amour n’est pas d’abord un sentiment : c’est un échange de dons enracinés dans la Source divine. Le Père donne tout au Fils, et le Fils donne la vie et l’amour au monde dans l’Esprit. Apprendre à aimer, c’est accepter de rendre grâce pour les dons reçus et donnés, même quand ils ne nous plaisent pas.

Mercredi - Vivre c’est être en communion


Pourquoi est-ce que ça ne marche pas toujours ? Pourquoi, face à un idéal si enthousiasmant, rencontrons-nous tant d’aspérités ? La réponse commence par une acceptation : nous sommes en chemin, et la moisson n’est pas notre œuvre. Ce qui nous est proposé ce matin, c’est d’entrer dans l’invitation à devenir un seul corps, c’est-à-dire à cultiver une communion fraternelle si profonde que « tu fais partie de moi et je fais partie de toi ».

Cette vision heurte notre réflexe moderne : nous nous pensons d’abord comme individus, reliés chacun à Dieu, mais souvent en marge de la recherche de communion. Même en Église, côte à côte, amis ou ennemis, nous restons à distance. Le sommet de l’amour, pourtant, c’est l’unité. Même Marie, pour être pleinement reliée à son Fils, a dû devenir disciple.


Le cardinal Henri de Lubac le rappelait : l’Église est notre mère, celle qui nous a donné la vie par le baptême. On ne traite pas sa mère comme une institution. Ce mystère dépasse notre compréhension et s’enracine dans le mystère trinitaire, accessible par le mystère pascal. C’est pourquoi le Concile Vatican II a pu dire que l’Église est sacrement du salut.

Sommes-nous prêts à nous convertir jusqu’à devenir un seul corps ? Ce n’est pas acquis. Le mariage, en tant que petite ecclesiola, en est une image forte. Les Actes des Apôtres montrent que la communion se vit aussi dans les maisons : grâce à l’hospitalité de familles, l’Église se rassemblait. Le cardinal Kasper y voit l’avenir de l’Église par la redécouverte de l’« Église domestique ».


Saint Paul l’exprime avec force :

« Il est la tête du corps, l’Église […] afin qu’il ait en tout la primauté. » (Col 1, 15-20)« Réunir toutes choses dans le Christ […] l’Église qui est son corps, la plénitude de Celui qui remplit tout en tous. » (Ep 1, 3-23)

Prendre ces paroles au sérieux, c’est accepter d’être aspiré vers la plénitude par une « folie » qui passe par l’abandon de soi. Le Christ n’est pas seulement un visage tourné vers nous, mais une Présence intime, réelle, qui habite l’humanité. Les Pères de l’Église osaient même dire : « Le Christ est le corps de tous » (Hilaire de Poitiers) ; « Nous aussi, nous sommes Lui » (Augustin).

Cette unité dépasse le visible et s’étend à tous les membres dans le temps et l’espace. Nous ne percevons ni tout le moteur ni toute l’œuvre, mais nous savons que la vie du Christ circule dans ce corps et que c’est Son souffle qui l’anime. Entrer dans cette réalité du corps mystique est une des tâches les plus exigeantes — mais c’est là que la vie devient communion.


Jeudi sainte Brigitte – Vivre c’est se reconnecter au moteur intérieur


Vivre selon le Royaume demande un véritable déplacement : nos réflexes spontanés ne vont pas naturellement dans cette direction. Nous préférons souvent organiser l’immédiateté de notre existence. Mais le Royaume se visite à partir du cœur, de la vie de Dieu en nous. Notre cœur s’alourdit, nos sens spirituels s’émoussent : nous ne voyons ni n’entendons vraiment selon Dieu. Comme l’aveugle-né de l’Évangile, nous devons accepter de recevoir la vue.

Celui qui « a » est celui qui accepte de recevoir ; l’abondance caractérise la vie selon Dieu. Refuser d’ouvrir son cœur, c’est se condamner à un regard et une écoute limités. Jésus, respectueux de la liberté, parle en paraboles : « Si tu veux, tu peux… », mais c’est à chacun de faire la démarche. L’aveugle-né ne sait pas qui l’a guéri, mais il sait qu’il l’est ; il garde un cœur libre dans la relation. À l’inverse, la fermeture enferme dans une vision étriquée que l’on voudrait imposer aux autres.

Nous possédons tous un propulseur de vie, un centre vital : là se joue notre attention et notre écoute. La conversion consiste à vivre à partir de cette Source qui nous donne la Vie, au lieu de compter sur nos seules forces. Quand l’attention se porte sur cette Source, surgit un silence profond, une présence à soi et aux autres, une communion. Les Pères de l’Église appelaient cela la vigilance : accueillir, dans le silence, le dynamisme de la Source, sans vouloir tout contrôler.

Un chemin privilégié pour rejoindre cette Source est la lectio Divina. Lire, ce n’est pas seulement acquérir des savoirs, c’est entrer en présence d’une parole qui vient nous rejoindre. Dans l’ancienne tradition, la lecture publique à haute voix incarnait cette Parole dans un « corps sonore » qui la faisait vivre. En l’écoutant, on est visité par le Verbe ; on devient porteur de cette Parole qui féconde en nous une vie nouvelle.

La rumination de la Parole est plus qu’une répétition : elle crée un lien vivant qui nous assimile autant que nous l’assimilons. Peu à peu, notre horizon s’élargit, notre humanité habite la réalité de Dieu. Il s’agit moins de comprendre que de se laisser transformer, en restant longtemps avec cette Parole jusqu’à ce qu’elle fasse son œuvre. Alors, le corps et l’esprit se rejoignent par un Souffle venu d’ailleurs, et la Parole produit en nous ce qu’elle veut.

Dans cette écoute gratuite, le silence devient accueil total. La lecture se transforme en réponse : nous ne nous appartenons plus, nous entrons dans une connaissance intime de Dieu. C’est là que se trouve notre moteur intérieur — et c’est de là que jaillit la vraie Vie.


Vendredi - Saint Jacques – vivre c’est rester en état de service


En ce jour où l’Église fête les apôtres, nous sommes envoyés pour témoigner de ce que nous vivons au plus profond. L’Évangile nous interroge : non pas sur la « place » que nous occupons, mais sur notre disposition à mourir avec le Christ pour ressusciter avec lui. Dans le Royaume, vivre, c’est mourir à l’illusion de soi, pour entrer en communion avec d’autres et demeurer dans une attitude intérieure de service. Rien d’extraordinaire : simplement rester disponible, comme Jésus qui s’est fait serviteur et a donné sa vie « en rançon pour la multitude ».

La rançon, c’est le don qui libère les prisonniers. Jésus a donné toute sa vie pour nous rendre libres, fils et cohéritiers, et non esclaves. Le service chrétien n’est pas d’abord une action, mais une qualité de relation, marquée par l’obéissance et l’humilité. Obéir, c’est écouter. Être humble, c’est s’incliner pour accueillir et permettre à l’autre de se déployer, sans écraser ni dominer. L’humilité vient de humus, la terre — et c’est à cette terre que nous retournerons, pas à notre « je » illusoire.

Servir, c’est aussi accepter la fragilité des relations. Nos premiers contacts sont marqués par émotions et réactions épidermiques. Il faut apprendre à les recevoir dans la liberté, pour que la relation reste ouverte et constructive. Rejeter la domination ne signifie pas abolir l’autorité : la véritable autorité fait grandir, rend « auteur » de sa vie. Ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile ; il nous est confié pour être mis en œuvre dans l’amour, et la moindre chose faite ainsi a une portée immense.

Mais comment devenir vraiment témoins du passage de la mort à la vie ? Cela demande un travail de conversion : inverser notre logique. Nous croyons souvent que vivre, c’est penser et agir, et que la vie intérieure viendra après — si nous avons le temps. Or, c’est ce que nous recevons au plus profond qui nourrit nos pensées et nos actes. La conversion n’est pas une recherche d’impeccabilité qui enferme, mais une brèche dans la forteresse intérieure que nous avons bâtie. Il faut parfois que l’édifice vacille pour qu’une assise plus profonde apparaisse.

Jésus nous invite à ce chemin en cinq attitudes :


  1. Accepter de voir partiellement : nous ne possédons jamais la vision complète ; seule l’ouverture du cœur donne une vraie clarté.

  2. Agir à partir du moteur intérieur : comme Jésus résolu à monter à Jérusalem, nourri du lien au Père.

  3. Accueillir les surprises : elles font avancer plus que nos programmations, comme dans la multiplication des pains.

  4. Vivre reliés : refuser l’illusion d’autonomie.

  5. Chercher ensemble la vérité : l’œuvre nous dépasse toujours.


Le vrai service est d’être grand ouvert à la Vie, mais une Vie qui ne nous appartient pas ;  de laisser croître la bonne graine — même si nous ne savons pas comment elle pousse — et de résister à la fermeture qui est le péché. Ainsi, rester en état de service devient un chemin pascal, où chaque jour nous passons de la mort à la Vie.

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