Histoire de Belloc
Frère Jean-Michel de Belloc, Quelques mots sur l'histoire de Belloc
QUELQUES MOTS SUR L’HISTOIRE DE BELLOC
Il y a exactement 150 ans, un groupe de frères du Pays basque commença à prier et travailler (ora et labora) en ce lieu. Le Père Bastres et quelques-uns de ses compagnons étaient des Missionnaires d'Hasparren. Ils vécurent une merveilleuse journée le 1er septembre 1875. On raconte que 5 000 personnes et 300 prêtres se réunirent à Labastide Clairence. Le soir, ils accompagnèrent la Vierge de Belloc au nouveau monastère, transportant la Vierge Marie, ainsi que les premiers bénédictins, chantant le Magnificat et, pour ce jour-là, le nouveau cantique composé par Zaldubi-Adema : « Ongi-etorri, aita onak, Jainkozko gizonak » « Bienvenue, nos bons pères, les hommes de Dieu ».
Et qu'y trouvèrent-ils ? Une maison insalubre où ils s'installèrent, avec pour endroit pour dormir, un tas de fougères ; mais c'était un lieu de prière, et c'était là le plus important, car c'est pour cela qu’ils étaient venus.
Comment comprendre leur appel ? Trois missionnaires étaient partis d'Hasparren pour deux ans à l'abbaye de La Pierre-Qui-Vire afin d'étudier la vie bénédictine. Il s'agissait du Père Bastres, fils de Saint-Pée-sur-Nivelle, 40 ans, du Père Duperou de Ciboure, 26 ans, du Père Martin Lapeyre d'Ascain, 29 ans. Il y avait aussi Louis Ardans des Aldudes, qui deviendrait plus tard prêtre, 28 ans, et le premier frère bénédictin : Étienne Etcheverry d'Izturiz, 26 ans. Ils entamèrent lentement leur nouveau chemin et, ce jour-là, lorsque tout le monde fut parti, ils restèrent dans la solitude, mais pas seuls, avec Dieu, car leur foi était grande.
Je vous raconterai l'histoire de Belloc en trois parties : les premiers 50 ans, 1875-1925 ; les deuxièmes 50 ans, 1925-1975 ; les troisièmes 50 ans, 1975-2025.
PREMIÈRE PARTIE : L'HISTOIRE DE BELLOC
1. LES 50 PREMIÈRES ANNÉES, 1875-1925
Lorsque Mgr François Lacroix était évêque de Bayonne, lequel y a siégé pendant 40 ans (1838-1878), le Père Franchisteguy était vicaire général du diocèse, et Belloc fut fondée. Michel Caillava, l'un des premiers frères de Belloc, disait que « l'abbé Franchistéguy, ce saint homme, avec Garicoïts, Cestac et Etchécopar, étaient alors comme les quatre évangélistes de la sainteté dans le diocèse de Bayonne ». Au cours de ce siècle, le diocèse connut une croissance rapide : 400 paroisses, 21 congrégations religieuses, 160 écoles affiliées à des religieuses, etc. Le père Bastres était appelé depuis longtemps à être religieux, mais, faute de ressources nécessaires (santé), il ne put intégrer aucune congrégation (jésuite, capucin). Les missionnaires d'Hasparren, quant à eux, l'accueillirent en 1865. Ils parcouraient les paroisses du Pays basque et certains se rendirent même en Argentine pour accompagner dans leur cheminement chrétien les basques émigrés. Au début de la guerre de 1870, Bastres et Dupeyrou partirent avec l'armée comme aumôniers. Là, ou en chemin, ils rencontrèrent un moine de La Pierre-qui-Vire pôur trouver dans ce monastère ce qu'ils cherchaient : la vie cénobitique, l'apostolat des missions, le travail manuel, les travaux agricoles et la prière. Ils étaient convaincus que, futurs moines, ils montreraient ce qu'était une vie consacrée à Dieu et que, par la suite, des jeunes pourraient s'y engager. Après leur départ pour La Pierre-qui-Vire, le père Bastres prit un nouveau nom : frère Augustin, le père Dupérou, frère Thomas, le père Louis Ardans, frère Odilon ; le père Lapeyre, frère Damien ; le père Étienne Etcheverri, frère Laurent. En peu de temps, cinq ans après leur retour et leur installation, cette petite communauté doubla en nombre. Mais bientôt, l'oppression s'abattit sur eux. En 1880, pour des raisons politiques, le 11 novembre, la communauté fut dispersée, une énorme troupe de gendarmes encerclant la maison. Pourquoi ? dans toute la France, la révolution de 1789 avait supprimé tous les couvents, détruit tous les biens religieux et interdit tous les moines et toutes les moniales. Selon le Concordat de Napoléon de 1801, les moines étaient encore interdits, à l'exception des prêtres des diocèses, et cette interdiction était toujours en vigueur en 1880. (en 1841 avec Lacordaire, réhabilitation formelle de la vie religieuse).
Mais peu à peu, les expulsés, discrètement, revinrent chez eux. Huit ans après la fondation de Belloc, en 1883, une maison de moniales fut créée à 600 mètres, le Père Bastres faisant de son mieux pour les aider. Sur cette petite colline, les moines étaient donc dans une maison et les moniales dans l'autre. Une petite colline pour la prière et pour le travail, deux maisons, des maisons de Dieu. De nombreuses vocations affluèrent à ces maisons. Ainsi, rien qu'en 1888, 25 frères firent profession et 13 frères convers furent officiellement admis. En 1884, la maison était devenue Prieuré. En 1885, dix ans après sa fondation, ils acquièrent dans la région de Pau une ferme de 40 hectares, destinée à accueillir une maison de retraite. Une autre œuvre sociale fut créée en 1886 : à Mouguerre, un orphelinat avec une ferme. Parallèlement, les frères créèrent une chocolaterie, dans la région de Labastide, ainsi qu’une minoterie. L'un de ces frères, le Père Civitan Dupérou, fut envoyé comme maitre des novices de La Pierre-Qui-Vire. De là, expulsé, il se rendit en Angleterre, puis en Amérique, en Oklahoma, pour fonder le monastère du Sacré-Cœur. Avec lui, 21 frères de Belloc, ainsi qu'une dizaine d'autres frères un peu plus tard, partirent. De nouvelles vocations rejoignaient Belloc ; à la fin du XIXe siècle, cette maison comptait une centaine de frères.
En août 1890, Belloc était élevée au rang d'Abbaye. Les frères votèrent alors pour que le Père Augustin Bastres soit leur abbé, c'est-à-dire le berger de leur troupeau. Ils souhaitaient ainsi réaliser le rêve du Père Muard, fondateur de la Pierre Qui Vire, en devenant des frères missionnaires au Pays basque, pour aider les prêtres locaux, et ici, particulièrement au diocèse de Bayonne, qui vivraient dans la pénitence et la prière et compteraient parmi les meilleurs prédicateurs. La pénitence pouvait se manifester en paroles et en actes. Le Père Bastres disait : des prières intenses et persistantes donnent une grande force à l’Église et au peuple. Et le Frère est celui qui se consacre à la prière. Le lieu de Belloc lui-même avait été choisi pour aider le diocèse : endroit intermédiaire, situé entre les zones où l’on parlait le basque et le gascon.
Pour y vivre, les frères effectuaient beaucoup de travaux des champs. Mais pas assez. Comme déjà mentionné, un moulin à farine, qui demandait beaucoup de main-d’œuvre y fut installé en 1903 ainsi qu’une chocolaterie. Aujourd’hui, la chocolaterie Bastida est en quelque sorte héritière de la chocolaterie des moines. Mais, avant 1903, une lettre arriva du nouveau monde, d'Argentine, au Père Bastres, en octobre 1898. Elle provenait de Mgr de La Lastra, le nouvel évêque du Paraná. Que lui disait ce nouvel évêque d'Argentine ? Il s'était rendu au sanctuaire de la Vierge de Luján la veille et, alors qu'il priait, pour demander de moines, le Père Arbelbide, un missionnaire de Labastide, se trouvait juste derrière lui. Il lui dit qu'il connaissait un grand couvent actif au Pays basque, d'où viendraient sûrement des moines. De là, Belloc fonda un monastère à Victoria, appelé Nino Dios, car vingt moines s'y rendirent et emportèrent avec eux l'Enfant Jésus que la Vierge de Belloc tenait entre ses bras. Là, ils aidèrent les paroissiens, enseignèrent et travaillèrent aux champs. Le monastère existe encore aujourd'hui.
Cependant, en France, de nouvelles lois concernant la religion furent adoptées. La loi du 1er juillet 1901 institue au titre 3 l'article 13 : « Aucune congrégation religieuse ne peut se former sans une autorisation donnée par une loi qui déterminera les conditions de son fonctionnement… » Art. 16 : Toute congrégation formée sans autorisation sera déclarée illicite… » Art. 18 « … à défaut de justification, ou autorisation refusée, les Congrégations seront réputées dissoutes de plein droit… » La municipalité d'Urt a donné un avis favorable pour obtenir l'agrémentnon seulement aux frères, mais aussi aux sœurs. Cependant, le 18 avril 1903, samedi de Pâques, les frères reçurent l'ordre de quitter les lieux et de laisser leur maison en vente, au profit de l'État français. Imaginez ce qu'avaient alors en tête les frères, surtout le Père Bastres ! Les frères quittèrent les lieux dans les trente jours qui suivirent, et Belloc serait mis aux enchères publiques le 23 août 1906. La plupart des frères se rendirent en Gipuzkoa (la province basque limitrophe après la frontière franco-espagnole) avec leurs écoliers, d'abord à Idiazabal, puis, en 1906, à la maison carmélite de Lazkao, libre depuis 1846, où ils s'installèrent. La maison de Belloc, quant à elle, appartenait légalement au père Michel Caillava, un Bastidar, ce que le tribunal confirma. Il offrit donc au diocèse la maison de Belloc et le petit séminaire de Larressore, également expulsé fut établi à Belloc, par l'intermédiaire du père Joseph Marot, prieur, natif de Hélette, et du père Fulgence, économe.
Lorsque les frères furent expulsés de Belloc, une quinzaine d'entre eux partirent pour la Palestine, car la Province des frères construisait de nouvelles maisons à Jérusalem et à Abu-Gosh. Le Père Caillava avait visité ce dernier lieu en 1899, année où il y avait une mission. Le gouvernement français souhaitait donner ce lieu aux Bénédictins, et les évêques et prêtres de Jérusalem voulaient justement que les Bénédictins ouvrent un grand séminaire syriaque pour aider l'Église en Syrie. Le Saint-Père Léon XIII, le Pape d’alors, le souhaitait aussi ardemment. C'est ainsi qu'en 1901, le Père Benoît Gariador, des Aldudes, arriva à Jérusalem comme supérieur. En 1902, ils achetèrent un terrain près de Jérusalem et, en 1903, ils ouvrirent un séminaire avec trois étudiants et construisirent peu à peu le nouveau monastère. Le Père Michel Caillava collectait constamment de l'argent en leur faveur.
De son côté, le Père Caillava, résidant à Labastide, qui permit de sauver le monastère, rencontrait en 1905, Francis Jammes et Paul Claudel. Il contribua à la conversion de Francis Jammes, lui donnant la communion et célébrant la messe dans une maison de Labastide.
La Guerre de 14 fut déclarée. Quarante frères de Belloc furent mobilisés, la plupart comme infirmiers. Mais au début de la guerre, trois d'entre eux moururent (Chemin des Dames). À la fin de la guerre, les anciens soldats ne retournèrent pas à Lazkao, mais restèrent à Belloc. En Palestine, en revanche, la guerre avait gravement endommagé les maisons bénédictines, les Turcs étant déjà entrés en guerre. Des millions de chrétiens furent tués. Après la guerre, le séminaire syrien fut pratiquement détruit, avec des séminaristes, dont beaucoup étaient morts ou partis à l'étranger, et des enseignants portés disparus. La poursuite de cette œuvre serait difficile.
2. LES 50 ANNÉES SUIVANTES : 1925 – 1975.
Le Père Joseph Marot, supérieur de Belloc, n'avait qu'une idée en tête : organiser le retour de ses frères de Lazkao à Belloc. Après avoir obtenu la restitution des lieux, il demanda à l'évêque de Bayonne, Mgr Gieure, la permission de réintégrer les frères dans la maison qu'occupait le petit séminaire de Larressore depuis 1906. Il lui fallait sauver Belloc, abréger la vie de Lazkao et, surtout, permettre aux frères de retrouver leur vocation dans un vrai monastère. Les frères, après une guerre, réfugiés depuis vingt ans, vivaient dans une grande pauvreté ; les frères étaient âgés et peu nombreux. Finalement, après la construction d’un nouveau petit séminaire à Ustaritz, les frères retournèrent à Belloc en 1925. Cependant, ils n'avaient plus la force de soutenir d'autres fondations, le monastère du Sacré-Cœur (Oklahoma), le monastère de Nino Dios (Argentine) et surtout l'œuvre de Jérusalem.
Le Père Maur Etcheverry, natif d'Iholdi, visiteur français de 1919 à 1928 et abbé général à Rome de 1928 à 1937, était passionné par l'œuvre de Jérusalem. En 1928, le Père Anselme Chibas-Lassalle écrivait : « Nous avons ici 19 prêtres et 45 élèves au séminaire.» En 1932, cinq nouveaux prêtres, syriens, furent ordonnés pour ce diocèse, puis deux autres plus tard. Le Père Joseph Marot, abbé, mourut le 2 janvier 1925 à Lazcao. Le 20 février, les frères élirent le Père Ignace Gracy, d'Azcain, comme abbé. Il fit venir ses frères de Lazcao à Belloc. Ils reprirent l'œuvre de Saint Léon à Pau, où les travaux agricoles soutenaient l'école de Belloc. Les missions reprirent dans les villages basques. Cependant, pas partout. En 1926, le Père Général de l’ordre Bénédictin de Rome, le Père Benoît Gariador, autorisa la reprise du noviciat de Belloc. Mais en 1933, le Père Ignace tomba malade et mourut le 21 janvier 1934. Un mois plus tard, le Père Jean-Gabriel Hondet, originaire d'Hendaye, fut élu abbé.
1936, Guerre d'Espagne. Un prêtre d'Irun, puis quinze réfugiés arrivèrent au monastère de Belloc et y restèrent trois ans, comme des résistants (gudariak). Comme travailleurs, ébénistes, ils ont laissé de nombreuses oeuvres sculptées au monastère.
Guerre de 1939-1945 27 moines de Belloc furent mobilisés, ainsi que deux autres de la classe 39. Dès le début, le monastère établit un journal destiné aux mobilisés : l'« Agent de liaison ». Le Père Maur Etcheverry, l'Abbé Général, retourna à Belloc pour aider à la cuisine et enseigner, en toute humilité. Il mourut en mai 1946. Le Père Jean-Pierre Inda, d'Aldudes, fut prisonnier en Poméranie pendant 5 ans. Par ailleurs, le monastère de Lazcao obtint son indépendance et devint « Prieuré » le 16 juin 1946, avec le Père Alberto Beguiriztain à sa tête.
En 1943, quatre moines de Belloc rejoignirent la résistance : l'Abbé, le Prieur, l'hôtelier et le Père Bernardin Darmendrail, qui avait rejoint le réseau anglais Shelburne l'année précédente. Le Père Bernardin s'évada en avril 1943, d'Espagne vers l'Algérie, puis vers l'Angleterre pour rejoindre l'armée de De Gaulle. Le 14 décembre, quatre jours seulement après la mort de l'évêque de Bayonne, Mgr Van Steenberghe, la Gestapo vint au monastère et rassembla les moines. Déjà une fois, la Gestapo, venue au monastère, avait perquisitionné le bureau et les appartements de l'abbé, emportant tous ses papiers. Ce jour-là, le père Jean-Gabriel, le père Grégoire Joannatey, Prieur natif d'Isturiz, et le père Ildefonse Darricau, hôtelier, les accompagnèrent. Trahis par certains, tous les membres du réseau Orion, à l'exception d'un seul resté à Paris, furent arrêtés. Le vicaire général de Dax, le chanoine Bordes, fut également arrêté et, avec les trois moines, emprisonné à la prison de Bayonne pendant cinq semaines, puis transférés à celle de Bordeaux. Ils y restèrent jusqu'au 17 janvier, subissant de terribles tortures. Finalement, le père Ildefonse fut libéré le 25 mars et retourna au monastère. Les deux autres furent emmenés à Compiègne, puis à Buchenwald dans la nuit du 18 janvier 1944. Ils souffrirent terriblement du froid. À Buchenwald même, on imagine combien de souffrances ils ont pu endurer pendant un an. Et le 7 janvier 1945, ils furent envoyés à Dachau, un endroit vraiment sinistre. Nous disposons d'un témoignage du franciscain Éloi Leclerc, âgé d'environ 20 ans, car il était dans le même train : "parmi les convois arrivés à Dachau, celui de Buchenwald : un groupe d'environ 5000 hommes avait été mis en route vers la gare de Weimar où l'embarquement s'effectua dans des wagons-bennes et des wagons fermés, à raison de 70 à 100 par wagon. Le voyage s'effectua dans des conditions atroces. Fatigués, presque sans nourriture, malmenés par les SS, les survivants arrivèrent à Dachau vers 12h00 après une odyssée de 20 jours. Il est impossible de décrire ces 20 jours où nous étions entassés au point de ne plus pouvoir nous étirer, affamés, délirants, écrasés par les coups, dans le sang et les déchets, mourant les uns après les autres, les uns sur les autres » Oui, ce fut donc l'enfer. Après la libération des camps par les Américaine le 29 avril 1945, ils sont revenus à Belloc et, petit à petit, les dix autres moines prisonniers. Le 8 juin, au monastère, décoré de fleurs pour l'arrivée du Père Abbé, les cloches sonnèrent pendant une demi-heure. Plus tard, le ministre de l'Intérieur de Chevigné décerna des médailles de la Légion d’honneur au Père Abbé et au monastère. Le Père Jean-Gabriel Hondet reprit ses fonctions, mais, affaibli, il renonça à son abbatiat et le Père Jean-Pierre Inda devint abbé. Il convient de noter que Jean-Pierre Inda, emprisonné pendant cinq ans au Stalag E, avait appris l'allemand et l'utilisa plus tard pour étudier la théologie.
À partir de 1946, l'œuvre de Jérusalem avait cruellement besoin d'aide. Parallèlement, la situation évoluait ; l’Etat d'Israël fut fondé le 14 mai 1948 et, immédiatement après, la première guerre éclata entre les Arabes et les Israéliens. Le séminaire était en grand danger, ainsi que le monastère d'Abou-Gosh. À l'automne 1950, Les frères quittèrent leur fondation et retournèrent à Belloc. Ils laissaient Quatorze frères au cimetière. En 1964, le séminaire de Jérusalem devint la Maison d'Abraham, propriété du Secours Catholique, et le monastère d'Abou-Gosh fut repris en 1973 par les frères de Bec-Hellouin.
Ces années-là, le Concile Vatican II décréta que les frères devaient poursuivre leur vocation particulière dans les monastères, et non à l'extérieur, même s'il s'agissait de missions de l'Église. Le Père Jean-Pierre Inda partageait cette idée, mais il respectait les frères ayant une vocation missionnaire. Le Père Abbé rencontra alors Mgr Gantin, archevêque de Cotonou, et l’invita à venir parler aux Frères à Belloc. Ainsi, le 2 novembre 1962, une nouvelle fondation fut établie au Dahomey (plus tard appelé Bénin). Le Père Adrien Gachiteguy, le premier, s'y rendit le 24 avril 1963, tandis que le Père Dominique Bellegarde, un Donamartiri, fut le premier supérieur, et le couvent de Zagnanado fut inauguré en août 1965. Le Père Jean-Marie Burocoa, était présent à Bouaké lors d'une grande réunion de frères et d'abbés d’Afrique, laquelle déclara : « Le but principal des fondations monastiques en Afrique est de permettre aux âmes africaines attirées par l'Esprit de réaliser cet idéal contemplatif dans une vie consacrée à l'Église et ainsi de parachever son implantation dans leur pays d'origine.»
Après le Concile, des changements intervinrent dans tous les monastères, y compris à Belloc : la distinction entre moines prêtres et moines laïcs (convers) fut abolie ; la liturgie passa du latin à la langue vernaculaire ; le chant grégorien fut mis à égalité avec les autres chants ; l'enseignement fut repensé ; etc. Entre 1964 et 1970, une nouvelle église fut construite et la consécration eut lieu le premier septembre. De profonds changements s'ensuivirent au monastère. Une nouvelle bibliothèque fut installée dans l'ancienne église, mais il ne fut pas possible d'obtenir l'accord de tous les moines. Certains n'étaient pas d'accord. Mais petit à petit, tous acceptèrent cette nouvelle église. Cependant, l'église était très coûteuse et, pour financer ses travaux, une partie des biens fut vendue. À cette époque, le Père Philippe Mathieu de Hasparren en était le grand économe.
Sur la liturgie, Belloc ouvrit une nouvelle voie à la liturgie. Avant cela, en 1947, les moines avaient déjà entrepris un important travail sur la liturgie basque. Le Père Gabriel Lerchundi (1908-1995) publia « Kantikak », recueillies dans les paroisses du Pays basque. Il les renouvela, en sélectionnant les meilleurs et en introduisant de nouveaux cantiques composés par le Père Iratzeder. En 1952, Belloc publia les livres liturgiques : « Gau Saintua », la liturgie pascale ; en 1953, « Jainko Jaun zerukoa », en 1954, « Pasionea » et « Mortutik oihu », en 1956, « Eguberri » ; en 1961, le chanoine Narbaitz publia « Elizako-liburua ». Pendant le Concile, le 7 mars 1964, l’évêque réunit les prêtres du Pays basque au grand séminaire de Bayonne et ils décidèrent que l'intégralité de la liturgie serait traduite en basque. La même année, les « Psaumes » furent publiés, texte et musique, par les pères Xavier et Lerchundi. À son tour, le père Marcel Etchehandy de saint Michel entreprit la traduction de la Bible entière en lapurtar-basenabartar. Cette œuvre majeure a été publiée en 2007. Les premières vêpres furent chantées à Mouguerre en 1947. Les messes basques ont été publiées en 1965.
En 1966, trois chorales se réunirent à Saint-Jean-de-Luz (Begiraleak, Oldarra et les moines de Belloc) pour chanter la Messe des Corsaires de Jean Urteaga. De nombreuses chorales furent alors créées dans les paroisses. En 1972, le Père Xavier Diharce (Iratzeder), de Saint-Jean-de-Luz, fut élu Abbé par les frères. La maison Saint-Léon de Pau devint une maison de retraite. Et en 1975, le monastère de Belloc célébra son centenaire. Il fallait agir, remercier Dieu et le peuple. Ils célébrèrent une Journée diocésaine, Mgr Vincent, évêque de Bayonne, rendant alors un grand honneur à Belloc. La journée des religieux, avec le Père Abbé de Rome, la journée du pays, avec une foule de mille cinq cents hommes, femmes et enfants, présidée par Roger Etchegaray, alors archevêque de Marseille. De même que la journée des Bastidars et des Ahurtois.
3. LES TROISIÈMES 50 ANS : 1975 – 2025
Ces cinquante dernières années sont mieux connues. D'abord, comme les frères n'allaient plus dans les paroisses en tant que missionnaires, l'accueil s'est développé. Beaucoup de gens, jeunes, prêtres, enfants ou personnes âgées, venaient en nombre, pour un ou deux jours de retraite. La nouvelle église était pleine le dimanche et surtout les jours de fête. Beaucoup ont appris à mieux connaître la communauté de Belloc. Et ils ont pris goût à la prière. D'autre part, un groupe d'« Oblats séculiers » s'est formé autour de la communauté. Il y avait des conférences, une salle de vente de livres, les frères accueillaient les gens. Certains jours, surtout en été, les gens affluaient au monastère comme des abeilles. Il faut dire que les bénéfices de la fromagerie ont permis d'améliorer la maison, de construire de nouveaux bâtiments et de la moderniser, et que les frères ont effectué de nombreux travaux à la ferme.
1. Retour sur le travail autour de l’agriculture à Belloc
La plupart des premiers frères vivaient dans des fermes avant de venir au monastère. Mais les fermes de l’époque étaient petites, pas encore mécanisées. Que pouvait-on y faire ? Du maïs, du pain, des choux, un troupeau de vaches ou de moutons, des cochons, des poules, et même une vigne, un potager et un verger. À Belloc, on commença à faire tout cela. Mais si deux ou trois hectares suffisaient à une famille, les frères de Belloc avaient besoin de plus de terres. Par exemple, le potager occupait un hectare et demi. Le verger était un peu plus petit. On y gérait un troupeau de vaches pour la traite, ainsi qu’un troupeau de moutons, des cochons et un grand ensemble de poules. Les moines travaillaient aux champs, et de jeunes ouvriers aidaient aussi aux travaux.
Pendant la dernière guerre, la nourriture manquait ; à Belloc aussi on avait faim, ils devaient manger des haricots presque tous les jours, mal conservés. Une Borde de Bayonnès fut vendue en 1943 sur la route d'Hasparren , et le monastère disposait ainsi de 45 hectares de terres. Ils y installèrent des moutons, avec le berger Celestino, originaire de Navarre, pour passer du bon temps. En 1944, le premier tracteur arriva, le premier dans la région, de marque Minneapolis, avec deux roues motrices. Plus tard, en 1952, deux jeunes hommes des environs furent embauchés comme ouvriers et, en quelques mois, 10 hectares de nouvelles terres furent cultivés ; ces 10 hectares devinrent plus tard 36. Le Père Alexis Cazeaux, l’économe, paya tout. À cette époque, une troupeau de 500 brebis parcourait les terres autour de Bayonnès et du monastère. En 1968, après avoir construit une nouvelle bergerie voyant que le gouvernement accordait une aide aux agriculteurs, et que les jeunes ouvriers se faisaient rares pour la traite, on installa une machine à traire les brebis, une des premières de la région.
En 1973, le Père Gachiteguy, ingénieur agronome, revint d'Afrique et prit la tête du vignoble du monastère. Il y avait déjà une vigne, certes, mais elle n'était pas au goût de notre moine. Que fit-il ? Sur une parcelle de 3 hectares, il planta une nouvelle vigne, avec du tannat, du cabernet et du petit manseng. Il en planta à 4 mètres d'espacement entre les rangs, pour permettre le passage du tracteur, et avec des piquets de 1,80 mètre, par milliers. Le vin qui en sortit avait un bon succès.
Après la guerre, l'ingénieur qui était à la Chambre d’Agriculture à Pau organisa des concours de producteurs fermiers. Il y avait des poules pondeuses dans les fermes et, à Belloc, Etienne Lerchundi, de Ciboure, l’économe du monastère, construisit un nouveau et magnifique poulailler. Frère Gaston, cuisinier du monastère, s'occupa des poules pendant dix ans, ce qui lui valut cette lourde responsabilité. Belloc gagnait presque tous les concours.
La Forêt
Les terres bordant le cours d'eau de La Joyeuse (Barthes de Pèes), grâce à la création de drains, furent nivelées et drainées entre 1957 et 1960. Maïs, ray-grass et trèfle y étaient cultivés en abondance. Cependant, l'eau inondait 4 à 5 fois par an, et ces terres étaient assez éloignées du monastère. Ainsi, 13 hectares furent plantés de chênes pédonculés et de frênes en 1989-1990, puis 7 hectares supplémentaires.
Être moine, prêtre et berger (Ignace Etxehandy)
Chaque moine a une tâche particulière à accomplir, en plus de la prière. Il accomplit cette tâche pour tous ses confrères. Quiconque le désire doit accomplir consciencieusement son devoir. Mais un moine doit s'investir encore plus profondément dans son travail et l'accomplir consciencieusement. Un travail bien fait, accompli avec courage, éveille l'âme et conduit à la prière. Il est clair qu'il ne prêche pas ; ses auditeurs seraient l’air et les vents. Son travail est celui de la plupart des familles du Pays basque. Nombreux sont ceux qui sont venus à cette colline, soit pour demander des précisions, une visite, soit des conseils. Quant à un prêtre-berger, je ne peux pas dire : « J'aide du mieux que je peux, car ce que je fais, c'est ce que fait Belloc. » « Et, bien sûr, j'offre à Dieu tous ces compagnons bergers, qui s'améliorent sans cesse, dans ma prière monastique. C'est mon travail sacerdotal. »
2. Le travail des moines hors du monastère, dans le domaine agricole.
La révolution agricole a débuté au Pays basque vers 1950 ou 1960. Au monastère, deux moines étaient particulièrement engagés dans ce travail : le père Adrien Gachiteguy et le père Ignace Etchehandy. Ils ont été des initiateurs de la formation agricole des jeunes paysans de la région et de la valorisation de l’élevage, spécialement l’élevage ovin.
Maïs : En 1954, la plupart des terres cultivées du Pays basque étaient consacrées au maïs. La variété de maïs, le « grand roux basque », ne produisait qu'une tonne de grains par hectare. À cette époque, de nouvelles variétés de maïs, le maïs hybride, produisaient des rendements bien supérieurs à l'hectare, si ce n'est qu'en fournissant beaucoup d'engrais. Le gouvernement souhaitait diffuser ces techniques en regroupant les agriculteurs au sein des « CETA » (Centre d'études de techniques agricoles) afin de recevoir des subventions pour les semences de maïs, les engrais ou les outils de travail. Le Père Gachiteguy était à la tête de ces CETA autour du monastère.
Vaches : Avant, dans les fermes du pays, on trouvait des vaches blondes, les « blondes des Pyrénées » pour le travail. Elles donnaient peu de lait et étaient remplacées par les tracteurs. Or il y avait peu de vaches laitières. Il valait la peine de revenir au lait, car le lait était cher et les vaches pouvaient donner beaucoup de lait. À l'école nationale de Rambouillet, le Père Gachiteguy avait étudié l'insémination et il est devenu ainsi chef de centre d'insémination artificielle. Petit à petit, les éleveurs sont ainsi revenus à l'élevage laitier.
Ovins : Pendant 15 ans, le Père Gachiteguy a amélioré le mode de vie des éleveurs ovins du département. Il a d'abord amélioré le Centre de contrôle des ovins d’Ainharp. En 1990, il a permis que 344 troupeaux soient contrôlés, soit 75 000 brebis, et il créa le Centre d'insémination ovine des Pyrénées en 1975, avec 45 troupeaux. En 1995, 1 000 béliers sélectionnés étaient en activité. Il a bénéficié du soutien précieux de feu Père Ignace Etchehandy et de Jean-Baptiste Cachenaut, directeur du Centre.
Fromage de brebis :
Ardiga est une marque de fromage, fabriquée à Belloc, au lait de brebis. Ce fromage est fabriqué de la même manière qu'au Pays basque, par chauffage deux fois, a demandé beaucoup de travail pour son élaboration. En 1968, le lait de brebis connut une série de problèmes. Alors, les frères ont commencé à transformer leur lait, et beaucoup d'autres comme eux ont fait de même par-ci par là. Pourquoi ne pas créer un groupement de bergers pour fabriquer du fromage ensemble ? C'est ainsi qu'est née l'Union : au départ, trois producteurs, puis peu à peu, une quarantaine de bergers fabriquant du fromage ensemble, ont rejoint cette Union, sous l'égide de la Coopérative du Sud-Ouest : l'union des producteurs de lait de brebis. Cette dernière avance la prime de lait à chaque berger chaque mois. À la vente du lait, l'union restitue l'argent avancé. La fromagerie, la salle de froid, les outils, les équipements revenaient aux frères, qui étaient payés pour leur travail soigneux. Le fromage exige beaucoup de travail et de soins pour être bon et se vendre bien. Cinq moines travaillaient à la fromagerie.
Après quelques années, l'atelier de fabrication de fromage travaillait à fond. Mais les moines, moins nombreux pour accomplir un travail aussi important, furent contraints de trouver une autre solution avec une fromagerie de la région de Saint Jean-Pied de Port. On y fabriquait du fromage puis on le laissait s’affiner au monastère pendant 4 à 5 mois. Ainsi, le fromage était de bonne qualité et environ 100 tonnes étaient vendues par an. Cette activité continue aujourd'hui avec des salariés.
3. Les dernières évolutions au monastère.
En 1987, lorsque le père Xavier Diharce a renoncé à l’abbatiat, le père Jacques Damestoy, de Saint-Jean-de-Luz, a été élu Abbé par les frères et il prit ses fonctions le 11 juillet. Le monastère a ensuite connu des moments difficiles. Une troupe de gendarmes avait fait une descente au monastère la même année, causant de grandes souffrances à beaucoup. C’était la troisième fois dans l’histoire du monastère que ce type de désagrément survenait. Entre-temps, le nouvel évêque de Bayonne, Mgr Pierre Moleres, visitait souvent le monastère pour encourager les frères.
Plus tard, la société Ezkila, la maison d’édition fondée en 1951 par le père Xavier, a fermé ses portes. Le prieuré de Marciron près de Pau a fermé en 1993, celui de Zagnanado au Bénin déjà en 1989. Le troupeau de brebis mis en fermage, une borde a été vendue et, à l'automne 2020, la maison entière, avec la ferme, la forêt, le magasin et la fromagerie ont été vendus à Habitat et Humanisme.
Cependant, nous avons aussi de bonnes nouvelles concernant ce monastère. Les frères ont déménagé au monastère sainte Scholastique, où ils se sont implantés dans un nouveau lieu, partageant la liturgie et bien des services avec la communauté des moniales. On continue donc à célébrer des liturgies, à vivre en harmonie, à apporter diverses formes d'aide et à organiser toutes sortes de choses au même endroit. L’accueil de groupes ou de retraitants trouve un nouvel élan avec la construction d’une nouvelle hôtellerie. La communauté soutient financièrement une cinquantaine d'associations. En Afrique notamment, un nouveau monastère a été créé après Zagnanado, dans une autre ville, appelée Hêkanmé. Il y a actuellement une quinzaine de frères là-bas. Nous les aidons également.
Les réserves du passé préparent l'avenir. Comme le disait saint Benoît, du moins en interprétant ses propos : ne regardez pas hier, le passé est révolu. Ne regardez pas demain, l'avenir ne nous appartient pas. Mais regardons chaque jour, l’aujourd’hui : car, chaque jour, notre Dieu nous appelle et fait entendre sa voix.