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Le secret du chant des moines

  • Photo du rédacteur: Prière des Heures
    Prière des Heures
  • 9 oct.
  • 4 min de lecture

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Chronique de Michel Cool, Alethia, 27 septembre 2025

Photo : Moines de l'abbaye d'Acey


Quoi de mieux que le chant des moines bénédictins pour sortir du tintamarre médiatique et du désespoir politique ? Mais attention ! prévient notre chroniqueur Michel Cool, ne croyez pas que la liturgie monastique vous aide à fuir le monde, bien au contraire : elle vous reconnecte avec la réalité la plus profonde.


J'écris cette tribune depuis une abbaye nichée dans la verdure bretonne. Je suis venu y vivre une retraite de quarante-huit heures avec une trentaine de journalistes et d'écrivains. Voilà bientôt quinze ans que je ne manque pas ce rendez-vous annuel. Une de ses participantes historiques aime en parler comme d'une oasis qu'elle attend chaque année avec une impatience renouvelée. J'aime cette comparaison avec un puits d'eau dans le désert. Nous vivons le plus souvent en courant. En nous dispersant. À en perdre haleine. À en perdre le temps de boire un verre d'eau pour humecter nos lèvres et épancher nos soifs. Durant ces deux jours qui viennent, nous allons justement nous ressourcer, en respectant le rythme de vie des moines : privilégier le silence et l'écoute au lieu d'alimenter le tintamarre et le bavardage. Faire davantage attention aux petites choses de la vie : mettre la table, faire la vaisselle et consentir temporairement à un jeûne médiatique. Et puis, bien sûr, contempler la nature plus que de coutume, à commencer par le coucher de soleil aux reflets mauves qui m'a accueilli en ce lieu...


Une autre réalité

Arrivé à destination en fin d'après-midi, j'ai pu assister à la fin de l'office des vêpres. Les coules blanches des moines se distinguaient encore dans la pénombre du chœur de l'église. Quand ils ont entonné le cantique du Magnificat j'ai ressenti à ce moment-là qu'un dépaysement salutaire s'opérait au fond de moi. J'entrais dans une réalité qui n'était pas tout à fait la même que celle que j'avais quittée en sortant de ma voiture. Tout au long de ma route, la radio m'avait tenu compagnie pendant quatre bonnes heures. Branché sur France Musique, j'avais bifurqué sur France Info pour écouter en direct le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris dans l'affaire des financements libyens de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. La condamnation à cinq ans de prison de l'ancien président de la République, reconnu coupable d'association de malfaiteurs, fit l'effet d'un coup de tonnerre. Et comme des milliers d'auditeurs, sans doute, j'étais resté suspendu au fil ininterrompu des commentaires suscités par cette décision de justice inédite. Un fil qui, à la longue, c'était prévisible, finit par devenir répétitif, lassant et improductif.


Quelque chose de plus à offrir

Retourné sur France Musique, en escomptant retrouver ainsi un brin de sérénité, mon esprit restait quand même encombré et troublé par ce que je venais d'entendre. Cette actualité judiciaire et politique tellement peu glorieuse n'allait-elle pas encore enfoncer davantage mon pays dans les affres du désespoir et exacerber son enragement ? Voilà l'état d'esprit sombre et nauséeux dans lequel je me trouvais en franchissant le seuil du monastère. Or, ce vague à l'âme s'est estompé en entendant les moines chanter les versets du Magnificat : « Il relève Israël, son serviteur, il se souvient de son amour… » Que s'est-il passé pour qu'un changement de couleur de ciel ait lieu en moi ? « La musique adoucit les mœurs » atteste un proverbe populaire dont on attribue la source à Platon. Les vertus apaisantes de la musique — entendons la belle musique — ne sont plus à démontrer. Mais le chant des moines a quelque chose en plus à offrir. Je sais bien qu'on l'utilise comme musique d'ambiance pendant des séances de relaxation. Mais ce n'est pas de cet exotisme un peu superficiel dont il est question. Quel est donc le secret du chant transformateur des moines ?

La règle bénédictine sert quelque chose qui la dépasse.

Ce secret, je crois, est constitutif de la spiritualité bénédictine. Saint Benoît a donné pour but spirituel à ses disciples de dilater leur cœur. Qu'est-ce à dire ? La fidélité aux règles de vie commune qu'il est demandé au moine d'appliquer chaque jour n'a pas pour objet masochiste de l'humilier ou de l'asservir. Au contraire, la règle a un sens pédagogique : elle lui rappelle qu'il est lui-même limité et provisoire. Elle a aussi un sens éthique : un règlement aide à discerner l'essentiel de l'accessoire ; elle apprend à hiérarchiser ses priorités et ses urgences ; elle prévient contre toute idolâtrie de ce qui n'a pas lieu de l'être : le rite, la hiérarchie et la discipline elle-même. La règle bénédictine sert quelque chose qui la dépasse. Elle forme au décentrement et au dépassement de soi, sans lesquelles aucune vie commune fraternelle n'est possible. « Vous voyez ce réfectoire, eh bien ! il serait recouvert de taches de sang si nous étions livrés à nous-mêmes et à nos seuls désirs, si nous vivions sans règle », m'a confié un jour un abbé non dépourvu d'humour et de lucidité.


Au plus profond du réel

La règle bénédictine est un chemin de liberté qui initie concrètement son usager à l'imitation de Jésus-Christ. C'est l'homme « le plus sûr et le plus vrai » disait Tertullien, théologien carthaginois du IIe siècle. Le chant monastique est un peu comme le haut-parleur de la vie spirituelle, discrète et abondante, que le moine emmagasine au fur et à mesure qu'il avance en âge et progresse dans sa vocation. Le chant est l'indice sonore de cette réalité intérieure que le moine exprime en déléguant aux psaumes, que Jésus priait chaque jour, le soin de révéler et de répandre à l'extérieur comme un parfum. Le chant monastique ne détourne donc pas de la réalité, il ne nous évade pas du réel comme on l'entend dire souvent. Bien au contraire, il nous re-connecte avec la réalité la plus profonde de notre être. Et se faisant, il nous dépayse en douceur du cadre habituel dans lequel nous recevons et lisons l'actualité du monde. Comment ? En apportant de l'épaisseur, de la profondeur et surtout, une lueur d'espérance, à notre manière de la recevoir et de la comprendre.

 
 
 

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